L'esclavage a été aboli, en France, en 1848, mais 700 ans plus tôt, il l'était, à BOLOGNE, dans des conditions assez originales qui méritent d'être connues.
En 1256 à Bologne, la population, essentiellement rurale, était, en grande partie, constituée d'individus de condition servile, les uns attachés à la personne du maÎtre, les autres à la terre de leurs maîtres.
A côté coexistaient les vrais serfs de la glèbe, successeurs des coloni de droit romain, ainsi que des hommes libres mais inscrits sur la liste des personnes dépendant d'un seigneur et attachés aux fonds qu'ils travaillaient, au point de devoir subir le sort de ces terres même en cas d'aliénation de ces dernières, c'étaient les ascripticii.
Il y avait, aussi, de nombreux hommes libres qui, en vertu de diverses catégories de contrats agraires étaient tombés sous la dépendance d'un maître auxquels ils étaient liés par servitio et obsequium, ils étaient devenus des fideles, contraints, eux aussi - et avec eux leurs descendants - de rester liés à la terre: ils étaient communément dénommés manentes.
Ces paysans, en outre, ne jouissaient pas d'une réelle possibilité de disposer de leurs gains : ils étaient des objets plutôt que des sujets de droit, soustraits, au surplus, à la juridiction de la Commune pour rester soumis à celle de leur seigneur qui était, ainsi et en même temps, leur maître et leur juge;
Au début de l'année 1256 la commune de BOLOGNE, débarassée de la menace des Impériaux, après la mort de Frédéric Il de Souabe, était dirigée par une Diarchie formée par le Podestà, issu de l'aristocratie terrienne et de la noblesse et du Capitano del popolo, ( choisi parmi les artisans et autres acteurs économiques de la commune que l'on appelait la pars populi).
Ses juristes, très estimés, à l'époque, vont s'intéresser à une modernisation de leur Constitution et, par là, à la situation des hommes libres mais tombés en servitude pour avoir épousé une femme de condition servile et qui, de ce fait, étaient, comme les esclaves d'origine, 'exemptés d'impôt et de taxes, non par privilège, mais parce qu'ils étaient devenus des « biens patrimoniaux» et non plus des « personnes».
Les discussions poursuivies au Conseil Communal, aboutirent le 7 juin 1256 à la présentation au Conseil Communal, d'un texte qui soumettait au paiement des impôts, les dispensant de la diminutio civile, ces hommes libres mariés à des esclaves.
Cette disposition ne faisait pas l'affaire des seigneurs qui perdaient la possession de leurs serfs et leurs protestations amenèrent les autorités communales à rechercher une solution satisfaisante pour tous et juridiquement inattaquable.
Une proposition de compromis était, alors soumise au Capitano dei Popolo qui estima qu'il convenait d'aller au-delà de la question en discussion, jusqu'à une réforme radicale, propre à éliminer tous les problèmes que soulevait la question servile, de manière à ce que tous les habitants du territoire Bolonais puissent être des hommes libres.
Les juristes, consultés, vont proposer une formule originale en ce qu'ils estimeront que si les propriétaires d'esclaves acceptaient volontairement et en conscience de signer un compromis avec la Commune pour la vente des esclaves le Podestà et le Capitano dei Popolo, désignés comme arbitres amiables compositeurs, rendraient une sentence qui définirait les modalités de cette vente.
Le 28 juin la procédure était mise en place et la sentence était rendue et approuvée par le Conseil Général de la Commune qui désignait quatre Notaires - un par quartier - . Le prix des esclaves, hommes ou femmes, était fixé à 10 lires pour un majeur ( à partir de 14 ans) et 8 lires pour un mineur.
Le 25 août 1256 les deux arbitres ordonnent au Procureur des Seigneurs de réaliser avec le Procureur de la Commune, la vente des personnes inscrites sur les registres notariés.
Mais la situation politique allait évoluer brusquement.
Profitant de la discorde opposant, au sein du Parti des Seigneurs, les Geremei et les Lambertazzi, le représentant de la pars populi prenait le pouvoir, chassait le représentant de la noblesse et déclarait vouloir assurer, seul, le pouvoir législatif en renforçant le caractère démocratique de l'organisation communale.
Dans ces conditions le 3 juin 1257 la sentence était approuvée par le Conseil du Peuple mais ses conclusions n'étaient pas strictement identiques au texte d'origine qui ne statuait que sur la disparition des esclaves dépendant directement d'un seigneur.
Le compromis lui-même n'avait rien prévu quant au sort des paysans, serfs de la terre.
Le texte modifié dénommé Memoriale servorum et ancillarum va, alors, régler la condition de toutes les catégories de paysans en état de sujétion.
la nouvelle Constitution Communale déclarait solennellement abolir tout lien de dépendance de quelque nature qu'il soit, de manière à ce que les habitants de la Cité et du Territoire de BOLOGNE, puissent, in perpetuo, être considérés comme libres, libres de naissance, et, comme tels, protégés par la Commune de BOLOGNE qui les a affranchis.
Il était décidé, aussi, qu'à l'intérieur de la juridiction de la commune de BOLOGNE, personne ne pourrait être tenu par des accords créant une quelconque limitation de sa capacité juridique (jugo aliquo servitutis) accords qui seraient considérés comme nuls et sévèrement sanctionnés.
Ainsi, en l'espace de deux années la commune de BOLOGNE « que semper per libertate pugnavit preteriturum memorans et futura providens » partant d'un cas particulier, celui des homes libres tombés en esclavage pour avoir épousé une femme de condition servile, déclarait abolir toute forme de servitude mais négligeait de statuer sur le sort des serfs de la glèbe et, enfin, en 1257 excluait de son territoire tout ce qui pouvait constituer un lien de dépendance d'un individu au profit d'un autre.
La postérité a retenu sous le seul nom de LIBER PARADISUS
(les quatre registres notariés) l'ensemble réunissant ces ouvrages, le Compromis d'arbitrage, le Memoriale servorum et ancillarum, et la nouvelle constitution de 1257, ensemble qui représente un exemple unique, au moins pour l'époque et pour longtemps encore, de générosité, de civisme et de courage politique, malheureusement peu ou mal connu.
Il faut ajouter que dans le prologue du registre de la PORTA SAN PROCOLO , ( peut être aussi, sur les registres des autres quartiers) figure cette mention qui va plus loin et peut-être trop: il y est écrit qu'en ayant agi comme elle l'avait fait, la commune de BOLOGNE avait fait en sorte qu'à l'avenir, personne « opprimée par une forme quelconque de servitude » n'oserait s'installer dans la Cité ou dans le Diocèse de BOLOGNE et ce, pour éviter que, porteur d'un germe quelconque de servitude, il puisse à nouveau corrompre la communauté des hommes libres par nature ou après leur rachat.