En 1927,Raoul BUSQUET, lors Archiviste en chef des Bouches du Rhône, présentait à la Société de Statistique, d'Histoire et d'Archéologie de Marseille et de Provence, à l'occasion du centenaire de cette dernière, un Mémoire intitulé « La Chambre Rigoureuse» dans lequel son auteur entendait résoudre le mystère qui entourait cette institution, les particularités de sa constitution première, ses origines et son ancienneté, lesquelles, jusque là, n'avaient fait l'objet d'aucune étude sérieuse.
Notre confrère et Directeur Daniel DROCOURT, connaissance prise de cet ouvrage, m'en communiquait le texte avec une invitation - feutrée, certes, mais, néanmoins, pressante - d'avoir à vous en entretenir au cours d'une Chronique, ce que je me suis empressé de vous proposer, déférant, ainsi, à un voeu directorial auquel je ne pouvais rester indifférent.
Avant, mes chers Confrères, que vous me fassiez le reproche d'avoir oublié que nos Chroniques doivent traiter de sujets d'actualité - alors que celui que je vous offre a, au moins, sept siècles d'âge - j'ai tenu à vous mettre dans la confidence afin que, si mon exposé devait vous déplaire, vous mettiez votre déplaisir au débit de notre Directeur et non au mien, étant, cependant bien entendu, que dans le cas contraire vous m'en attribueriez l'entier mérite.
Voyons, donc, ce qu'était LA CHAMBRE RIGOUREUSE mais, auparavant il nous faut traiter d'une ancienne institution provençale, à savoir le DROIT DE LATTE - en latin médiéval LATA, LATAE, LATARUM, et, à la réflexion j'aurais dû, dans le titre, intervertir l'ordre des sujets et présenter- ce que je vais faire maintenant - le droit de LATTE avant la CHAMBRE RIGOUREUSE puisque cette dernière est née après et pour le droit de LATTE.
Signalons, tout de suite que ce droit de LATTE régissait l'ensemble des tribunaux de PROVENCE, mais que certaines communautés provençales jouissaient de privilèges, d'exemption totale ou partielle, qui leur avaient été consentis, comme AIX, RIEZ, PERTUIS, BOUC, GARDANE, FORCALQUIER, ENTREVAUX, ARLES, NOTRE DAME DE LA MER Quant à MARSEILLE elle en était exempte en vertu de ses vieilles immunités financières.
Quel était, donc, ce DROIT DE LATTE?
Il s'agissait d'un droit à caractère nettement domanial, appartenant au Seigneur justicier, au Comte dans son domaine, au Feudataire possédant justice dans son fief, et ce droit était qualifié par certains de « Peine pour punir la demeure et la chicane des débiteurs... »
Mais ce caractère de « peine» ou d'amende, infligée au débiteur n'est, cependant, pas exact. En effet, lorsqu'un justiciable réclamait le paiement d'une somme ou la remise d'un bien quelconque, évaluée en argent, à un débiteur, ce dernier, s'il convenait de sa dette ou du droit du demandeur sur l'objet en litige, devait payer à la Cour,12 deniers par livre, soit 5% c'était la Jatte simple. S'il contestait sa dette et si le Juge en arrivait au prononcé de la sentence, il devait payer 3 sous par livre, c'est-à-dire 15%, c'était la latte triple. Si, au contraire, le demandeur et le défendeur s'accordaient, après la plainte ( ou clameur) mais avant l'intervention du juge, le demandeur et le défendeur devaient payer chacun 6 deniers par livre, soit au total le montant de la latte simple. Si, enfin, les parties s'accordaient après que le défendeur ait, dans un premier temps, contesté sa dette mais avant le prononcé de la sentence, chaque partie devait payer 18 deniers par livre soit, au total 36 deniers ou 3 sous soit le montant de la latte triple.
On voit, ainsi, que la latte ne peut être considérée comme une peine ou une amende car, payée dans certains cas par le demandeur lui-même - à qui on ne peut faire le reproche d'avoir saisi la justice - elle s'assimile à un émolument dû au Juge, mis à la charge du perdant s'il y en avait un, ou dû par chaque partie y compris le demandeur, donc, et peut se comparer à ce qui existe, aujourd'hui, dans certains cas, soit le « partage des dépens «
Il faut ajouter, toutefois, que le caractère pénal de la latte s'est peu à peu affirmé au point qu'il n'était plus discuté au XVIIème et XVIIIème siècles.
Quelle est, alors, l'étymologie de la LATTE? Les Historiens ont naturellement pensé à interroger l'étymologie et ont, pour la plupart retenu celle tirée de l'expression PECUNIA LATA AD FISCUM (ou principem), mais Raoul BUSQUET propose la formule suivante:« PECUNIA DEBITA PRO LATA SENTENTIA » l'expression « Lata sententia » étant habituelle dans les textes latins du moyen âge. D'où la locution abrégée « solvitur ou solvatur pro lata » ( sententia) lata devenant, sous la plume des notaires des cours et des clavaires, un substantif.
Les STATUTA CAMERE RATIONI du 11 juillet 1356 reproduisant, mot pour mot, en son article 1er l'article 2ème des statuts de la Baillie de FORCALQUIER, puis repris par les statuts de la Judicature d'AIX et de BRIGNOLES, appartenant à l'œuvre législative et juridique élaborée ou renouvelée et mise au point par Raymond Béranger V et Romée de Villeneuve permettent d'adopter cette étymologie.
La perception des lattes ayant donné lieu à des abus, trop nombreux et trop divers pour être l'objet d'une efficace reprise en mains, les légistes de l'époque vont suivre l'exemple du Languedoc, pour trouver une procédure plus expéditive.
En effet il existait à Montpellier, une cour du petit sceau dont le style expéditif exerçait un grand attrait sur les créanciers de la région. Bien plus, Jean de Marigny, évêque de Beauvais, Lieutenant Général du Roi de France en Languedoc, fondait en 1342, dans le diocèse de St Papoul, la Bastide de Beauvais. Pour y attirer des habitants il créait de nombreux privilèges et, notamment, une cour du sceau royal à l'image de celle de Montpellier. Le succès était immédiat et les justices voisines voyaient diminuer dangereusement leurs profits ce qui allait aboutir à un concert de protestations.
Les Maîtres Rationaux de l'époque vont, donc, offrir aux créanciers provençaux une nouvelle juridiction plus expéditive pour empêcher l'exode des causes et, du même coup, faciliter la perception de la majeure partie des lattes: ils vont ainsi amener à Aix non seulement les clients des cours royales ordinaires mais aussi les créanciers résidant dans les fiefs qui, jusqu'alors s'adressaient à la justice de leur seigneur, car le tribunal ainsi constitué aura le monopole de cette procédure, c'est-à-dire que, les litiges concernant la poursuite des débiteurs récalcitrants, mais, aussi, la perception des lattes ne pourront être que de la compétence de cette juridiction à l'exclusion de toute autre.
Ce sera la « CHAMBRE RIGOUREUSE» qui ne fut pas, parmi les anciennes institutions provençales, une juridiction criminelle impitoyable, mais, simplement, un tribunal auquel l'ancienne justice provençale remettait, dans certaines conditions déterminées, le soin de contraindre les débiteurs récalcitrants à s'acquitter envers leurs créanciers. Il est vrai que ses pouvoirs étaient exceptionnels et expéditifs, puisqu'elle pouvait, par exemple, ordonner la mise à l'encan des biens du débiteur, outre son incarcération, sans jugement préalable, s'il était insolvable.
Si l'appellation de« CHAMBRE RIGOUREUSE », donnée à cette juridiction, ne se retrouve pas, dans les textes, avant le XVème siècle, son existence, en revanche, est attestée depuis, au moins, le 1er avril 1348 - peu après la «fuite »de la Reine Jeanne en Provence - sous le nom de CURIA CAMERE RATIONUM ou, en provençal, CORT DE LA CAMBRA DE LA RASON dans la dépendance de la Chambre des Comptes, c'est-à-dire des Maîtres Rationaux. Mais le mystère demeure quant à la date à laquelle cette juridiction a reçu cette appellation.
En revanche on connaît parfaitement la date de sa disparition: en effet cette juridiction fut supprimée par l'Edit de JOINVILLE de septembre 1535, son dernier Président Rational étant, alors, François de JARENTE, Baron de Sénas, de Varages et du Tholonet. La LATTE, elle, persistera jusqu'à la fin de l'Ancien Régime.
LA CHAMBRE RIGOUREUSE ET LE DROIT DE LATTE