Au début de l’année 1903, Aristide Briand vint d’être nommé président d’une commission parlementaire destinée à préparer un projet de loi qui devait aboutir, en 1905, à la loi dite « de séparation des Eglises et de l’Etat », Emile Combes étant, à cette date, président du Conseil depuis le 7 juin 1902.
Combes, neveu de l’abbé Goubert, ancien séminariste à Castres, puis à Albi en 1856, enfin « remercié », d’où une rancœur anticléricale qui orientera sa politique, une fois devenu médecin et homme politique. A son programme, surtout une fois entré en loge maçonnique en 1869, il inscrira, en premier, la volonté d’interdire d’enseignement les congrégations. Le jour de son investiture à la Présidence, il dira : « Je n’ai pris le pouvoir que pour cela.»
A la Chambre, après le débat du 26 mars 1903, cinquante-quatre congrégations furent ainsi frappées d’interdiction et leurs membres jetés sur les routes de l’exil.
Dans l’opinion publique, les traces de ce décret inique devaient demeurer longtemps vivaces et l’expulsion des solitaires de la Grande-Chartreuse devenait emblématique.
Dès le 17 avril 1903, un commissaire de police se présenta au portail de la Grande-Chartreuse afin de procéder à une première approche. Le 20, une forte concentration d’amis des solitaires prirent position autour de la Chartreuse. Face à cette résistance populaire, les autorités décidèrent de faire donner la troupe. Le 29, ce sont donc un bataillon du 140e de ligne de Grenoble et deux escadrons du 4 e dragon de Chambéry, ainsi que des sapeurs et la gendarmerie qui, à 2h40 du matin, prirent position aux abords des murs cartusiens. A cinq heures, les portes furent enfoncées et les religieux expulsés, manu militari, des stalles de l’église où ils étaient réunis. Ils descendirent à pied jusqu’à Saint-Laurent-du-Pont (10 km), sous une pluie battante, accompagnés d’une foule silencieuse et navrée. De là, par le train, ils prirent le chemin de Pignerol, en Italie, avant de rejoindre Farneta terme de leur voyage d’exil.
A la suite de cet événement, le capitaine Colas des Francs et le colonel Frédéric de Coubertin (frère du baron Pierre) donnaient leur démission de l’armée.
C’est le ministre Georges Mandel qui signera le décret de réintégration de la Grande-Chartreuse par les religieux, effectivement réalisée le 21 juin 1940, grâce à l’action énergique du maire de Saint-Laurent-du-Pont, Auguste Villard (1884-1979).
R.P Paul AMARGIER (o.p.)Membre de l’Académie de Marseille